De l’autre coté du chevalet et face au miroir : Le modèle
Le dernier à jouer, seul, encore, et la partie finie, autour de la chaise musicale muette. A danser en rond, à rebours autour de l’arbre, planté dans du béton bleu. Des tâches de couleurs liquides, du sang bien rouge porté à ébullition au dessus de la cafetière en denim sur la table renversée de la mère Cézanne, taillée sur mesure à la hache. Ca glisse, ça flotte, ça navigue et c’est léger, perdu dans le bleu du mortier solide, envahissant et qui bouffe tout.
L’écho de la chaise musicale, de son son blanc, la musique pour toujours muette et secrète du fifre de bois, du fifre de Manet, depuis l’entrejambe, vers le haut, jusqu’à la bouche, à travers les points d’or de la colonne d’os et de souffle et retour par le doigt tendu et l’étui vide, vers le bas, jusqu’à la braguette bien cousue. L’oreille à l’écoute du silence de l'image. Une belle ligne pointillée de l’or du métal froid. Le modèle prolonge sa ronde cependant que le fifre joue, le corps percé qui souffle et qui ventile à travers chacune des vertèbres. La flûte des ancêtres. La bouche calée dans l’os, elle dessine l’épine dorsale dorée dans les boutons qui cachent le corps et ferment l’uniforme de l’enfant gentiment embrigadé. Et l’ossature de la chaise vide, sans chair, au dossier de bois, lui aussi redoré.
La « carte à jouer », sage et plate comme une image, bien rangée dans le paquet. Garde-à-vous, à l’envers et à l’endroit ! À l’endroit et à l’envers, l’odalisque alanguie! Bavures, coulures et gravitation à l’appui ! Le paravent japonais ne cache plus rien, le joueur est translucide, traversé par la lumière, sans ombre portée pour tout poser et tout asseoir.
Tourne la chaise, traverse le souffle ébouriffant des pieds à la tête, et flottent les tâches à la surface du fond.
Elégant, monsieur Manent de m’avoir raccompagné à la gare d’Orsay, contre le quai de la Seine, vers monsieur Manet.
Raphaël Boccanfuso, 13 mai 2007