Prendre l’air
Ce qui frappe quand on regarde tes peintures c’est le rapport entre le mouvement des couleurs, le geste du peintre et le mouvement du sujet. Le mouvement représenté et le mouvement qui crée la représentation. Peux-tu nous parler de ce rapport ?
Oui, c’est tout le processus de ma peinture. J’ai commencé par faire des peintures hyperréalistes, assis derrière un chevalet. Progressivement, je me suis relevé, j’ai mis mon corps en mouvement et, pour cela, je me suis éloigné du figuratif. Le sujet, c’est presque le corps du peintre qui essaye de gagner en liberté, les sujets peints rejoignent les préoccupations du peintre.
C’est ton corps que tu représentes ?
Il y a toujours eu le corps. Quand j’étais à la fac, je réalisais des sculptures abstraites où le corps était toujours présent. J’étais fasciné par des artistes abstraits, comme Carl André, Barnett Newman, mais quand j’essayais d’avoir une pratique qui s’inspirait de la leur, je me rendais compte que si eux s’étaient débarrassés de toute forme d’anthropomorphisme, chez moi, au contraire, il y avait toujours la figure qui revenait. J’ai pensé que si je n’arrivais pas à m’en débarrasser autant la questionner. Ensuite, j’ai commencé à peindre et j’ai découvert Malcolm Morley et son œuvre hyperréaliste. Ça a été pour moi la 3e grande rencontre, je me suis mis à travailler dans cette veine-là. Mais je sentais que mon corps était bloqué dans ce soin du détail, il y avait quelque chose de figé dans mes peintures. Chaque tableau me demandait des semaines de travail. Progressivement, j’ai cherché à me libérer de ce corps en retrouvant une position debout et, ce faisant, je me suis libéré de l’hyperréalisme en commençant par supprimer les paysages. Puis je me suis défait de la figure, du visage, du portrait. J’ai travaillé d’après des vidéos de personnages en mouvement pour ne plus être dans la tentation de reproduire une réalité. Le niveau de définition des images extraites de la vidéo ne me permettait pas d’être réaliste. Le mouvement est apparu quand j’ai voulu me défaire de toute la partie nostalgique et affective de la photographie.
Oui parce que tu peignais à partir de photos d’enfance tirées de ton album de famille,
Avec une alternance entre des photos de ma propre enfance et des photos que je fabrique au présent, entre le souvenir et le présent. C’est-à-dire que je fabrique du souvenir au présent.
Et la vidéo te permettait de rompre avec l’affect qu’il y avait dans la photo ?
Je voulais supprimer complètement l’affect du coup j’avais décidé de filmer des mouvements que j’appelais mouvements élémentaires, des mouvements très simples qui ne racontent rien. Par exemple : un personnage qui se lève, fait le tour d’une chaise pour se rassoir, ou un personnage qui roule sur le sol vers la caméra, provoquant ainsi un fondu au noir. A chaque fois, je tirais toute une série de peintures très proches à partir d’un seul mouvement très simple. C’est quelque chose qu’on retrouve dans cette dernière série où j’ai travaillé à partir de quatre ou cinq clichés seulement. Etre dans la répétition me permet d’alléger : plus on reprend une même image, plus on s’en libère, plus on peut s’en éloigner et être dans le geste même. On n’est plus dans ce temps où le regard scrute pour décrypter, où le corps se crispe du fait de scruter.
Ensuite tu es allé vers quelque chose de plus abstrait ?
Comme j’étais beaucoup dans la répétition, je gâchais beaucoup et il devenait impossible de travailler sur toile, c’est comme ça que je suis passé au papier et, logiquement, la technique qui s’est imposée a été la gouache. Cela m’a permis de beaucoup m’amuser et de beaucoup jeter, je ne gardais même pas dix pour cent de ma production. J’aimais aussi beaucoup la texture et la matité de la gouache…
Avant tu peignais avec quoi ?
Toute la série à partir des vidéos a été faite à l’acrylique. Ce processus de simplification est venu du fait que j’ai dû abandonner l’huile dont je ne supportais plus les solvants. En passant à la gouache, j’ai gardé le thème des couples enlacés, utilisé précédemment et qui me plaisait beaucoup car on y retrouvait à la fois le mouvement, la confusion entre les corps et la planéité. C’est un sujet que j’ai travaillé pendant six ou sept ans, vers une forme de plus en plus abstraite, de plus en plus gestuelle et avec de plus en plus de couleurs. C’est à la fois le geste qui s’est libéré et la couleur. A un moment je suis arrivé aux limites de ce processus et j’ai eu envie de revenir à quelque chose de plus figuratif, de plus réaliste. J’ai alors cherché à retravailler ce que je faisais précédemment mais avec tout ce que j’avais gagné en geste et en couleurs…
Du coup, on rejoint notre point de départ, c’est-à-dire que l’énergie du geste de peindre se retrouve dans la liberté de ces corps en jeu que tu représentes ?
Ici ça part de photos que j’étais très désireux de peindre. Je sortais d’une série de tableaux dans lesquels il y avait beaucoup d’affect, réalisés à partir de photos de mes filles prises au Vietnam où il y a tout un pan de mon histoire familial… Là dans cette nouvelle série, on n’est plus dans le portrait, on est dans un sujet plus léger, ça pourrait être d’autres enfants, rien n’indique qu’il s’agit de ma famille, il y a une dimension assez universelle, il y a toute cette spontanéité du jeu. Et on retrouve ma préoccupation du corps dans ces postures…
Ce sont des postures où le corps s’allège, quand on se pend par les pieds, quand on fait le poirier. On perçoit un plaisir du corps, on voit des enfants qui prennent plaisir à profiter de toutes les possibilités qu’offre le corps,
En fait il y a presque deux séries. Dans l’une, où c’est toujours la même enfant suspendue à une structure, on est dans une sorte de figure de l’ange, où il est question de se défaire du corps. Dans l’autre série, il s’agit de deux filles en inversé, comme des cartes à jouer, où on est entre le jeu et l’agressivité puisqu’elle se prend un grand coup de pied dans la figure, c‘est comme s’il y avait un diable et une sorte de supplicié, ce qui rappelle les représentations médiévales… Je cherche souvent des images qui ont un potentiel d’évocation et amènent le spectateur ailleurs que ce que les photographies représentent au départ, ici ce serait pour moi l’imagerie du Moyen Age et la peinture primitive. On rejoint là la question de la technique puisque la nouvelle gouache que j’utilise est très naturelle et son rendu me rappelle aussi les Primitifs italiens. Les couleurs sont extrêmement pures, très chargées en pigments et on a une conscience du médium très fort quand on utilise cette peinture. Ce sont des gouaches très proches de l’aquarelle, très légères. On retrouve des transparences proches de l’huile, on peut travailler en glacis et en même temps, les couleurs sont beaucoup plus vives et lumineuses que l’huile.
On peut peut-être parler de la prise de vue ? Dans quelles conditions ça s’est passé ?
Ce qui est intéressant c’est que mes filles connaissent bien la destination de mes photos, elles ont une conscience des enjeux, elles savent très bien comment poser et en même temps, là, elles se sont senties complètement libres de faire n’importe quoi… Il y a à la fois la complicité avec le photographe-peintre et la spontanéité qui m’intéresse beaucoup. On est dans un matériau très intime puisque ce sont mes filles, leurs copines, le parc que j’aperçois depuis mon atelier… tout est intime dans le sujet. J’ai des sujets récurrents qui sont le parc, le jardin et la montagne, c’est la nature considérée comme un jardin. On est dans l’univers de l’enfance, du conte, c’est joyeux mais ça peut être aussi très angoissant.
Il y a une dimension très physique que l’on retrouve dans l’acte de peindre avec la gouache qui exige de travailler en une seule séance en quelques heures de façon très concentrée et en même temps relâchée. Il y a une conscience du corps qui est importante. Dans cette série, spontanément, j’ai agrandi les corps, j’avais besoin qu’ils soient très grands pour que ma gestuelle soit ample et libre. Mais comme ce sont des peintures que je réalise en une séance ou deux, je reste dans des formats proches de mes mensurations. Celui que j’aime beaucoup c’est ce format très vertical — 1m x 2 m — où l’on retrouve cette idée de se tenir debout. D’ailleurs c’est le format des fenêtres de mon atelier.
Entretien réalisé par Maïa Bouteillet,
à l’occasion de l’exposition Prendre l’air à la Galerie d’art contemporain de Mourenx, le Mi[x],
du 16 juin au 26 juillet 2017.